Motifs (Adolphe Retté)

Las de ses vains efforts, frémissant d’accepter
Et son rêve illusoire et la douleur réelle
Le Vivre a-t-il enfin assez battu de l’aile
Et le martyre clos qu’il se doit d’affronter
La loi sera moins dure ? ―
                                               Ô vieil aigle rebelle
Souffre stoïquement l’outrage coutumier,
Car l’Œuvre est en latence et son souffle vivace
De l’Être et ses rancœurs saura bien t’arracher :
Déjà les chants prochains fulgurent aux espaces
                 Des cloches turbulent dans le Noir.

Mais ce cercle banal de nos vieux horizons,
Ces cœurs, coches poussifs et qui roulent à vide,
Voyage pérennel autour de la prison :
Ah ! sur quel infini fixer nos yeux avides ?
En la coupe de Nuit tu noîras ta raison,
En la coupe tendue à tes lèvres avides ―
La Nuit dont ta folie avère les poisons
Rénovera le sang de tes veines arides ―
L’Infini ? glas menteur pour ta fruste oraison ―
                 Des cloches turbulent dans le Noir.

Des rites abolis notre fardeau s’allège :
Spectres vaincus, Éden sonore où nous goûtons
Le tremblé de la note et son lent sortilège,
Chœurs de blancs cygnes, purs encensoirs ― écoutons
Ces appels à des frères vaguant par les routes...
Ô voix d’or et d’airain et qui clangorez toutes ―
                 Des cloches turbulent dans le Noir.

Cependant l’ombre est là, l’ombre d’âme première
Se lève aux tourbillons de la fête et ses yeux
Disent le Néant vrai des âmes printanières :
L’idole, en rancune d’amour, de nos faux dieux
Nous prodigue ses froids baisers paralysants...
Qu’importe, nous boirons à la coupe nocturne,
Ses sanglots et ses pleurs nous seront plus grisants...
Mais ô Nuit les notes coulent si mortes de ton urne ―
                 Des cloches turbulent dans le Noir !


Adolphe Retté, Cloches dans la Nuit, 1887