Au Révérend Père B... et à Francis Jammes
Me voici donc, Seigneur, enveloppé de
vous !
L’ombre de votre main pèse sur ma
pauvre âme ;
Et comme en une cage ardente un lion
fou
Mon être est cerné
par vos flammes.
À travers le buisson brûlant de mes
douleurs,
J’ai épouvantement d’entrevoir
votre face :
Rien ne peut dégager l’affre de
mes terreurs
De l’étreinte
qui me terrasse
Je sens ma destinée close de toutes parts
Et qu’ont été murés les jours et les
issues,
Je suis comme aux abois, traqué par vos regards,
Seul sous votre implacable vue.
Est-ce vraiment enfin la dure vérité ?
Est-ce par vous qu’est poursuivi mon cœur rebelle ?
Est-ce là, sans erreur, qu’est votre volonté !
Est-ce votre voix qui
m’appelle ?
Est-ce ainsi qu’il vous faut que je sois
devenu :
Hagard, le cœur béant, malade et
solitaire,
Comme un entant abandonné, sans force et nu,
Hurlant pour appeler sa mère...
Ai-je usé jusqu’au fond ma force de
souffrir,
Et ne désirez-vous que ma seule faiblesse ?
Affirmez-vous ainsi le vouloir de fleurir
Surtout parmi notre détresse ?
J’ai pensé vous trouver sur les
chemins d’orgueil
Où ma raison suivait la superbe
Science,
Mais vous étiez absent des porches et des
seuils
Où s’étalaient
les évidences.
Obstinément, Seigneur, vous demeuriez caché
— Diamant dans le bloc de la dure Misère —
Et j’ai dû, pour vous plaire, à tâtons
vous chercher,
Flairer, vague et
noir, le mystère ;
Pour distinguer vos traits parmi l’obscurité,
Pour sentir sur mon cœur vos indicibles charmes,
Vous
vouliez que mes yeux, dardés sur vos bontés,
Fussent brouillés, brûlants de larmes.
...............................................................................
Albert Fleury (1875-1911)