Au carrefour de la douleur (Albert Fleury)

Au Révérend Père B... et à Francis Jammes


Me voici donc, Seigneur, enveloppé de vous !
L’ombre de votre main pèse sur ma pauvre âme ;
Et comme en une cage ardente un lion fou
      Mon être est cerné par vos flammes.

À travers le buisson brûlant de mes douleurs,
J’ai épouvantement d’entrevoir votre face :
Rien ne peut dégager l’affre de mes terreurs
      De l’étreinte qui me terrasse

Je sens ma destinée close de toutes parts
Et qu’ont été murés les jours et les issues,
Je suis comme aux abois, traqué par vos regards,
      Seul sous votre implacable vue.

Est-ce vraiment enfin la dure vérité ?
Est-ce par vous qu’est poursuivi mon cœur rebelle ?
Est-ce là, sans erreur, qu’est votre volonté !
      Est-ce votre voix qui m’appelle ?

Est-ce ainsi qu’il vous faut que je sois devenu :
Hagard, le cœur béant, malade et solitaire,
Comme un entant abandonné, sans force et nu,
      Hurlant pour appeler sa mère...

Ai-je usé jusqu’au fond ma force de souffrir,
Et ne désirez-vous que ma seule faiblesse ?
Affirmez-vous ainsi le vouloir de fleurir
      Surtout parmi notre détresse ?

J’ai pensé vous trouver sur les chemins d’orgueil
Où ma raison suivait la superbe Science,
Mais vous étiez absent des porches et des seuils
      Où s’étalaient les évidences.

Obstinément, Seigneur, vous demeuriez caché
— Diamant dans le bloc de la dure Misère —
Et j’ai dû, pour vous plaire, à tâtons vous chercher,
      Flairer, vague et noir, le mystère ;

Pour distinguer vos traits parmi l’obscurité,
Pour sentir sur mon cœur vos indicibles charmes,
Vous vouliez que mes yeux, dardés sur vos bontés,
      Fussent brouillés, brûlants de larmes.

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Albert Fleury (1875-1911)