Lorsque j’aurai cessé d’interroger
en vain, —
Toujours, l’impénétrable
et sinistre mystère,
Du chaos au néant, de la
graine au levain,
Des hommes et des dieux, du soleil, de la
terre,
De l’amant que j’épie après
qu’il a crié, —
De tout autour de moi, de
tous, et de moi-même ;
Que, lasse de guetter ce
secret varié,
De me revoir dans tout, d’être
de tout l’emblème,
J’aurai vécu la
vie innombrable de l’Un ;
Lorsqu’à la
sensation succédera le rêve
Qui se dissipera comme
un subtil parfum
Dans la dernière ardeur de ma jeunesse
brève ;
Lorsque, ayant sangloté de révolte
et d’amour,
Je me tairai pour être à jamais
impassible ;
Lorsque, après le sommet, la pente du
retour
Devant moi s’étendra sans horizon ni cible
Pour recréer ma force amante de l’écueil ;
Lorsque j’aurai perdu l’infini qui m’exhorte
À magnifier ma vie : la vigueur et l’orgueil ;
Lorsque je blêmirai, lorsque je serai morte :
Pour
vous qui m’aimerez que mon corps soit sacré,
Tel
le cadavre hautain d’une trop forte ivresse
Que
n’assoupit jamais l’âpre désir ancré
Au cœur de mon instinct, torche de ma jeunesse.
Puisque
superbement mon corps sous le soleil,
Mon amant, a frémi,
gardez-le de la boue
Où grouille la vermine, et qu’il
ne soit pareil
Aux morts, dans la terre, où je défends
qu’il échoue.
Poussez-le à la flamme, et que, purifié,
Désagrégé, chaleur vibrante d’étincelles,
Violemment il devienne — à jamais délié
Des racines de l’homme instables, éternelles —
Pur principe de vie exprimé du trépas,
Et
que l’air enfiévré caressant un jeune homme
Ignorant mon destin et comment on me nomme
Lui arrache un
grand cri qu’il ne comprendra pas.
Ou bien sur un rocher hissez haut mon squelette.
Sans regret offrez-le à l’aigle et au vautour,
Pour que mes os blanchis s’émiettent alentour,
Étalant au soleil sa volupté secrète.
Ou plutôt emportez dans l’Océan
ma chair,
Pour la replonger dans son essence première,
La matrice du monde. Et sous le soleil clair
Qu’elle
soit élément et qu’elle soit Lumière.
Valentine de Saint-Point, Poèmes d’Orgueil, 1908