Berger las du troupeau sentimental des heures
Solaires au Brocken nu des nuits spirituelles,
Sur le
fond merveilleux des cieux intérieurs,
Je regarde monter
mon Ombre essentielle.
Moi ?
Bulle instable où le présent se mire ;
Moi ?
Bulle que les passés
organiques gonflèrent.
Moi ?
Tentacule, issu
dos limbes millénaires,
Que la poussée des jours
nouveaux étire ;
Moi ?
Bouture
De l’hydre
Humanité
Qui gonfle et multiplie son milliard de têtes
À la conquête du futur.
Moi ?
Jadis, au marais des genèses primaires,
Un
geste aventureux de monade erratique
— Amibe précurseur
des vies élémentaires —
Parmi l’obscur
vagissement du flux panique
Ébaucha mon rêve :
Univers.
Remous central des énergies de l’Infini,
L’âme, tapie au fond des organismes,
Tisse,
sur l’armature des os et de la chair,
L’aranéen
filet des nerfs
Qui drague, hors des flots inconscients, le
Monde.
Enracinée aux générations profondes
Où le monde et les nerfs l’un l’autre se
révèlent,
Mon âme, épanouie en des
cerveaux plus fiers,
Suspend au thyrse d’or des Lois
universelles,
En grappes de clarté vivante, la Matière.
Eucharistie !
Le Cosmos éternel
est ma chair et mon sang :
Le Cosmos tout humain palpite à
mes artères
En élixir vivant ;
— Et, rougeoyant aux feux des suprêmes
chimies,
Jusqu’aux tréfonds incalculables du
passé,
Jusqu’au perpétuel futur de la
matière,
Cet instant-roi,
Globule fulminant
d’ineffable pensée,
Roule dans le creuset de mon
âme éphémère
La gravitation
éternelle — de moi.
— Non Moi ?
Bolide instantané
Craqué, phosphore, à la muraille du Néant.
— Qu’importe !
Un soir unique,
Un
soir adamantin de suprême synthèse,
Battit en moi
le cœur de la Force panique ;
Et, contempteur des immortalités niaises,
— Pulvis es ! — je
t’accueille en orgueil radieux,
Imbécile néant
de la Toute-Poussière ;
Mais, jusqu’au dernier jour, tu rouleras, ô
Terre,
Par l’aveugle Cosmos la poussière d’un
dieu !
Théo Varlet, Notations, 1906