La mort du poète (Paul-Hubert)

(Fragment)


J’ai vécu de la Ville et mourrai de sa mort
Pour avoir oublié la terre maternelle,
Qui jadis me berça sous ses horizons d’or
Près de la mer vibrante aux rumeurs éternelles.

Je mourrai de la Ville où mon rêve déçu
Comme un oiseau blessé tomba, les ailes molles,
Des hauteurs du Parnasse où j’avais aperçu
Les frontons lumineux de l’antique Acropole !

Pour avoir préféré l’attrait de la Cité
Aux humbles et doux fruits de l’austère sagesse ;
Pour avoir poursuivi ses folles vanités,
Et souillé mon cerveau de sa mauvaise ivresse ;

Pour avoir obéi à son rude vouloir,
Et subi le contact de sa main despotique ;
Pour avoir pantelé sous son fallace espoir,
Gémi sous son labeur et ses besoins tragiques ;

Pour avoir asservi ma lyre à ses rumeurs,
Traîné ma Poésie en son encre vulgaire,
Et souffert comme un Dieu dans le fond de mon cœur
Du nostalgique mal dont je riais naguère,

Je mourrai de la Ville, humble porteur de luth,
Parmi l’indifférence et la fièvre des foules
Dont je glanais les mots comme un enfant de Ruth
Pour en nourrir mon front où le rêve s’enroule.

Obscur et doux héros d’un obscur idéal
Comme j’étais venu je m’en irai, sans gloire,
Blessé dans mon orgueil d’un mystérieux mal.
Sans avoir entendu le chant de la victoire.

Mais j’aurai savouré la pure illusion
Qui fleurira toujours au cerveau des poètes,
Et connu la douleur qui rend modeste et bon,
La divine douleur que parfois on regrette.

J’aurai connu l’émoi tragique des Cités,
Palpité de l’amour des foules fraternelles
Et surpris les soupirs de leur humanité
Dans le vaste conflit des choses éternelles.

J’aurai vécu parmi la Ville et ses clameurs,
Parmi l’effort, l’espoir, les beautés et les luttes,
Vécu parmi la Ville ardente dont on meurt !
Et dont on a banni les lyres et les flûtes,

Ô Poètes ! surpris du vacarme d’airain
Qui garrotte l’essor suranné de vos rimes
Sous l’orchestre tonnant du labeur souverain,
Au rythme des moteurs, des marteaux et des limes.

*

Je ne dormirai pas sous les oliviers bleus,
Le doux sommeil promis au sein de la Nature
Et qui subtilisa la cendre des aïeux
Dans un frémissement d’azur et de ramures.

Mes yeux se fermeront au cœur de la Cité
Sous la brume, où la vie s’exaspère et s’affole,
Et je m’endormirai d’un sommeil agité
Dans l’ennui tapageur des froides nécropoles.

Loin de la mer vibrante et des oliviers bleus
Frissonnants de lumière et d’ombres violettes,
Loin de ces horizons tremblants et lumineux
Qui bercèrent jadis mes rêves de poète.

Et l’oubli se fera sur mon pauvre sommeil
Dans l’enchevêtrement des stèles et des pierres
Où la brume muette et le pâle soleil
Verseront, tour à tour, une larme dernière.

Et nul passant, fidèle à mon stérile vœu
De poète, fervent disciple de Virgile,
Ne viendra déposer le symbole pieux
D’un rameau d’olivier dans un vase d’argile

Sur ma tombe égarée aux portes de la Ville !


Paris, mai 1907

Paul-Hubert, épilogue d’Au Cœur ardent de la Cité, 1908