Le soir viendra, soir de ma vie ardente et brève ;
Malgré le beau soleil, déjà je le
pressens :
Il me faudra bientôt m’éveiller
de mon rêve.
La brume sur les flots monte comme un encens ;
Vous remplissez mon cœur d’une secrète
angoisse,
Charmes des bois jaunis et des jours finissants.
Se peut-il que déjà l’ombre
effrayante croisse ?
Une étrange splendeur plane
dans l’air plus frais,
L’herbe sèche frémit
sous mon pied qui la froisse.
Je veux jouir encor de vous, plaines, forêts
Où magnifiquement l’été chante ses
psaumes,
Blonds coteaux couronnés de pins et de cyprès ;
Je veux que les jardins me versent tous leurs
baumes,
Et que mes sens joyeux s’exaltent embrasés
Par le feu des couleurs vives, des forts arômes.
Vous avez consolé mon cœur des vains
baisers,
Souffles subtils venus des hauts sommets, haleines
Des vergers mûrissants sous les cieux apaisés !
Vous qui fûtes témoins de mes vœux,
de mes peines,
Printemps épanouis dans les chemins
déserts.
Sources pures tendant vers moi vos coupes
pleines,
Rendez jusqu’à la fin mes regrets
moins amers.
De vous j’attends la joie encore, ô
nuits clémentes,
Aurores et couchants qui jouez sur les
mers !
Que de fois, clairs vallons où fleurissent
les menthes,
J’ai cherché votre asile ! Avec
vous j’ai frémi,
Vagues et rocs géants
fouettés par les tourmentes,
Et mon sommeil fut doux près d’un lac
endormi ;
Astres pleins de pitié, chants de l’onde,
vous êtes
Pour moi le regard même et la voix d’un
ami.
Il me faudra pourtant vous délaisser,
retraites
Des bois et des ravins. Ô changeantes saisons,
Je n’assisterai plus éblouie à vos fêtes !
Mais quand mon corps, au temps des belles
floraisons,
Redeviendra poussière et que mon âme
libre
Aura fui pour jamais vers d’autres horizons,
Ô vous à qui mon cœur tenait
par chaque fibre,
N’effacez point mes pas, pleurez mes
yeux fermés,
Que longuement en vous mon dernier adieu
vibre,
Souvenez-vous de moi qui vous ai tant aimés !
Véga (1868-1950)