Fleurs et pleurs (Charles Séguy-Villevaleix)

Manibus date lilia plenis.
Virgile

Père, voici quatre ans que tu dors dans la couche
Que la commune aïeule offre à tous ses enfants,
Et depuis quatre ans, père, en vain j’ouvre ma bouche
Car mon âme toujours, en sa douleur farouche,
        Pour te pleurer me refusait des chants.

Comme jadis, avril de sa molle verdure
Encadre les étangs qui dorment sous les bois,
L’azur du ciel sourit, et toute la nature
Aux rayons, aux parfums mêle le doux murmure
        Des souvenirs si charmants d’autrefois.

Je me vois, jeune enfant, dans ma gaîté profonde
Courir la joue en feu sous les marronniers verts,
Tandis que tout pensif tu regardais dans l’onde,
Au liquide cristal qui réfléchit leur ronde,
        S’entre-croiser les ailes des piverts.

À l’âge où dans les yeux la passion s’allume,
J’allais, t’en souvient-il ? cueillant les fleurs des prés,
Vers le bonheur ravi, comme dans l’air la plume ;
Mon cœur naïf encore ignorait que la brume
        Ôte au soleil ses reflets empourprés.

Maintenant sur mon front se prolongent les ombres ;
Mes jours, maigre filet, rampent sur les cailloux,
Et l’astre du passé n’a que des lueurs sombres
Qui tombent tristement sur le temple en décombres
        Où je pliais jadis les deux genoux.

Ô confiance, amour, anges du sanctuaire,
Vous êtes remontés près du trône de Dieu !
Jeunes illusions, dans l’affreux ossuaire
Dormez, les bras croisés, sur les plis du suaire :
        La cendre est tout ce que laisse le feu !

Vous, mes strophes, de pleurs encor toutes mouillées,
Au rivage français, déployez votre vol !
C’est là que vous verrez, sous les jeunes feuillées,
Une pierre... À genoux et les ailes ployées,
        Versez des pleurs et des lis sur le sol !



Charles Séguy-Villevaleix (1835-1923)