L’ombre est partout au fond des choses.
Qui donc sait le secret de Dieu ?
Ces blonds enfants aux lèvres roses,
Que seront-ils sous le ciel bleu ?
Qui sait ce que le sort à
cette heure en ordonne ?
Il fut enfant, maître infini,
Ce fou qui répétait
d’une voix monotone :
« Qu’ai-je fait au bon
Dieu pour être ainsi puni ? »
...
Pauvre être ! il courait par la ville,
Vêtu d’affreux et noirs lambeaux ;
On l’eût pris dans sa course agile
Pour un échappé des tombeaux.
Sa voix avait
l’accent de la trompe qui sonne.
Farouche et le regard terni,
Il fuyait et lançait ce
refrain monotone :
« Qu’ai-je fait au bon Dieu pour
être ainsi puni ? »
Les enfants le frappant de pierres
Parfois le blessaient en passant ;
Et ses pieds nus, sur la poussière,
Laissaient un long filet de sang.
Mais sourd, blême,
stupide, et ne voyant personne,
Tel qu’un maudit par Dieu banni,
Il fuyait, et disait
d’une voix monotone :
« Qu’ai-je fait au
bon Dieu pour être ainsi puni ? »
Ainsi dans l’immense folie,
Seigneur, où roulaient ses esprits,
À ta loi toujours obéie,
Sa voix jetait de sombres cris.
La Grèce l’aurait
dit en proie à Tisiphone.
Ô deuil ! ô trouble indéfini !
Oh ! pourquoi
lançait-il ce refrain monotone :
« Qu’ai-je
fait au bon Dieu pour être ainsi puni ? »
Toi seul, ô Dieu, connais son crime,
Puisqu’il porta ton châtiment ;
Je me courbe devant l’abîme
De ton auguste jugement !
Ah ! pour manger le pain que lui
jetait l’aumône,
Pas un instant, ô Dieu béni !
Car toujours il
fuyait et disait, monotone :
« Qu’ai-je fait au bon
Dieu pour être ainsi puni ? »
Un jour près d’une humide ornière,
On le trouva sur le gazon,
Les yeux tournés vers la lumière,
Qui souriait à l’horizon.
Les moucherons sur lui
tournoyaient en colonne,
Car, hélas ! tout était fini,
Puisqu’il ne
lançait plus ce refrain monotone :
« Qu’ai-je
fait au bon Dieu pour être ainsi puni ? »
Paul Lochard, Les Chants du Soir, 1876