I
Déjà, déjà, pour nous sonne tristement
l’heure
Des suprêmes baisers et des derniers
adieux,
Où plus aucun espoir ne nous berce et nous
leurre,
Où des biens les plus chers on détourne
les yeux !
De nos bonheurs passés, il ne subsiste encore,
Comme
un encens brûlant sur des débris sacrés,
Que
l’Amour, tel qu’il fut au temps de notre aurore,
Unissant saintement nos cœurs désespérés
!
Tout est anéanti de ce que nous aimâmes !...
Nos
trésors de tendresse ont été dispersés
!...
Et nous sentons, hélas ! dans le fond de nos âmes,
Saigner bien des liens cruellement brisés !
Durant l’orage affreux qui sur nous se déchaîne,
Nous n’avons pour appui, nous n’avons pour soutien,
Pauvres arbres penchés, dont la chute est prochaine,
Que nos rameaux unis... Toi, mon bras, moi, le tien !
Eh bien ! restons ainsi sous la foudre qui gronde,
Sans
proférer d’outrage au ciel, jadis meilleur...
Qui
laisse encore briller, en notre nuit profonde,
L’Amour,
divin rayon, plus pur dans la douleur !
II
Lorsque des coupes d’or, dans l’ombre ou la lumière,
Pour d’autres que pour nous coule l’ivresse à
flots,
N’en soyons pas jaloux !... Regardons en
arrière...
Sans mêler à leurs chants le
bruit de nos sanglots !
Dans ce passé riant qui flamboie et rayonne
À
nos yeux, maintenant de tant de pleurs voilés,
Nous
aussi, nous avons eu les biens que Dieu donne
Pour se faire
bénir dans les cieux étoilés !...
Hélas ! comme pour nous, s’enfuiront pour les autres,
Les instants où l’on croit à l’éternel
bonheur !
Ces coupes, dans leurs mains, sont sans doute les
nôtres...
Où la liqueur peut-être a changé
de couleur !...
Pourtant jours de jeunesse, inoubliables fêtes,
Qui ne
verse une larme à votre souvenir ?
Qui de nous, quand
les ans ont neigé sur nos têtes,
Vers vous,
printemps enfuis, ne voudrait revenir ?...
Laisse encor sur ton sein reposer mon front pâle ;
Revivons
ce passé si doux à nos amours ;
Et plus forts que
le temps, trompons la loi fatale
Qui veut que les heureux ne le
soient pas toujours !
Alcibiade Pommayrac (1844-1908)